Hygiène de la lecture (I) : l’étiquette et la cire

Il n’y a pas beau­coup de dif­férences entre l’action qui con­siste à arracher l’étiquette d’un livre et celle qui pousse chaque semaine femmes et hommes à s’épil­er à la cire.

Dans les deux cas, le ter­rain néces­site une pré­pa­ra­tion minu­tieuse. La qua­trième de cou­ver­ture d’un livre est bal­ayée de la main pour repér­er les élé­ments venus la cor­rompre (sou­vent des salis­sures noires, dont on ne sait jamais trop com­ment elles sont apparues). Et de la même façon, le dos d’un‑e candidat‑e à l’épilation est tou­jours pré­paré.

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Cette étape passée, vient le tra­vail de l’étiquette (déjà posée) et de la cire (à pos­er). Elles ne peu­vent pas être retirées coup sec, sans décolle­ment par à‑coups : une éti­quette, comme une cire, s’attaquent par les côtés. On s’y reprend sou­vent plusieurs fois. C’est que l’étiquette ne se décolle jamais tout à fait comme il faudrait : elle résiste, men­ace de se déchir­er ou de laiss­er une trace.

Dans nos ten­ta­tives pour réini­tialis­er l’objet, comme l’épilation vise à redonner au corps les signes pre­miers de sa vital­ité, cette pen­sée par­a­sitaire : l’empreinte com­mer­ciale du livre, cette vie à laque­lle nous n’avons pas par­ticipé, dont nous avons été exclus et avec laque­lle il fau­dra peut-être com­pos­er (d’autres, au con­traire, préfèrent garder cette éti­quette parce qu’elle par­ticipe d’une poli­tique d’assainissement : le livre ne sem­ble n’avoir jamais été entamé). Aus­si nous nous employons à faire dis­paraître ces signes qui nous ont précédés, qui sont ceux d’un autre temps, pour d’autres et par d’autres : c’est l’hy­giène de la lec­ture.

La dernière étape est cru­ciale. On peut soit la réalis­er d’un coup sec, une fois qu’elle a été décol­lée — grat­tée, rongée sur ses bor­ds – dans l’attente d’une délec­ta­tion à venir, celle de voir inscrite sur la cire arrachée, le nom­bre de poils enlevés (et sur l’étiquette, sa blancheur et la vision d’un espace sans trou, après que l’étiquette a été enlevée sans reste) ; ou bien enlever lente­ment l’étiquette, comme l’araignée descend de son fil — jouis­sance d’un plaisir retardé.