Qu’une page soit cornée, que la couverture soit légèrement abîmée (et non pas jaunie : car l’action du temps, c’est-à-dire d’une action intérieure – sans homme –, peut, dans certaines conditions, accroître sa valeur), que la jaquette soit défectueuse, et c’est le rejet : je préfèrerai au livre rapidement feuilleté un exemplaire non entamé.
C’est qu’il y a une faille dans le contrat implicitement passé : ce n’est pas un livre d’occasion que je venais chercher, un livre marqué dont j’aurais moi-même choisi le système de rétribution et de réparation (un faible prix contre des signes que dans d’autres circonstances – sans l’indication : “occasion” – j’aurais considéré comme sales ; mon adoption contre tes offrandes, ô livre usé), c’est un bouquin bien neuf que j’allais adopter, dont j’aimais illusoirement croire qu’il avait toujours été là et qu’il m’attendait, sans que rien ne l’ait précédé.
Le cellophane rend visible l’effacement des mains qui ont nécessité la fabrication, le transport et le placement des livres neufs, comme l’enfant à peine né, aussitôt retiré des mains de sa mère et porté dans des linges stérilisés. L’enracinement du lecteur dépend de ce constat : “Personne, avant moi, n’a cultivé ce jardin.”
Le livre, comme la peau, doit rester imperméable. Si l’étiquette arrachée participe d’une politique d’assainissement de l’espace, qui consiste à réinitialiser l’objet, le cellophane, lui, assure l’étanchéité originelle des pores. Ou plutôt : il les maintient dans un état d’attente, comme les branchies d’un poisson sans eau qu’une mise à l’air active et condamne aussitôt.