(Paris, novembre 2016)
Voyelles ouvertes du nord et témérité des timides (il sait intensément soutenir un regard furtif). Il accompagne ceux qui vont mourir, les soulage physiquement avec de la morphine ; il les rassure aussi : y’a peut-être quelque chose après, on sait pas. Des morts chaque jour, de tous les âges, de toutes les religions.
C’était plus simple avant Paris, moins de stress et une meilleure organisation. Pas le droit à l’erreur ici : un mauvais dosage, une porte mal fermée, des mains mal lavées, et c’est la mort. L’espace hospitalier est balisé de petits pièges à éviter.
Y’avait aussi moins de juifs et de musulmans là-bas : maintenant, il faut respecter des gestes, négocier la pratique médicale avec la pratique religieuse, accepter d’être écarté, peu après, des soins. Le mort est le lieu d’une tension entre les pratiques, les savoirs, les valeurs qui peuvent s’affronter, s’harmoniser ou se relayer.
Les mouches sont toujours les premières à arriver ; des heures avant même : le signe que c’est fini. Le plus souvent, les patients sont inconscients mais certains paniquent. Ceux-là laissent quelque chose : leur sonnerie peut retentir pendant quelques jours encore. Quelques épisodes dans le genre après t’y crois ou t’y crois pas.
C’est plus facile avec les plus âgés : moins d’identification. Dans son manuel, plusieurs comportements des infirmiers en soins palliatifs sont répertoriés : celui qui ment, celui qui se projette, celui qui technicise, celui qui fait espérer. Il s’est peut-être reconnu une fois dans un patient de son âge mais aussitôt interdiction d’y retourner : ça le travaillait trop. C’est la différence entre l’empathie et la compassion, il dit : dans le premier cas, la compréhension de la souffrance se traduit par un accompagnement dans sa mort du patient ; dans le second, cette souffrance t’envahit tellement que t’aides plus le patient. Ce n’est plus sa souffrance qui est en jeu, ce n’est même plus celle de l’infirmier : c’est celle d’un colistier.
Un mois qu’il est à Paris, et 5 semaines de stage juste avant. Mais face à la mort, y’a pas d’expérience à avoir : on apprend toujours même avec 30 ans de métier. Il cherche encore l’équilibre entre les attentes de la famille, les normes hospitalières et les soins du patient pour retrouver moins courbaturé, en fin de journée, le corps dont il s’est absenté.