Les fêtes offrent souvent ces exemples de confidences, qui ne sont possibles qu’entre deux trajets (“tu peux m’emmener en ville ?”), qu’entre des corridors ou après l’affairement des préparations où l’on n’a du temps pour personne, sauf pour les autres (“sors de la cuisine, je dois finir !”).
Ce que ma mère n’avait alors pas perçu dans l’agitation, tendue vers ses urgences, elle me le décrivit dans la voiture, une fois que son corps fut remis et qu’elle put reconstituer (c’est-à-dire se souvenir) à partir de lui ce qui était, faute d’avoir été raconté, sans importance : les pertes de mémoire de ma grand-mère.
La mémoire ne nous permet pas seulement de nous souvenir, mais de nous inscrire dans un ordre discursif, de nous rassembler pour nous présenter, solides, ancrés, maîtres de nous-mêmes, devant les autres. Face à une interrogation soudaine et sans réponse, qui met en péril l’intégrité de la personne et risque, peu à peu, de la fragmenter, reste alors le déni, ou l’hébétement (“Elle a tourné la tête et elle a plus rien dit”), quand le conflit interne est ingérable.