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Dans ma quête d’études sur l’annotation, je suis tombé sur un article dense et important de Joanna L. Wolfe and Christine M. Neuwirth rédigé en 2004 1Wolfe Joanna L., Neuwirth Christine M., “From the Margins to the Center : The Future of Annotation “, Journal of Business and Technical Communication, 15, 2001.. Les deux chercheuses se demandent en effet si la production d’annotations sur écran facilite les procédures de lecture (ou si, au contraire, elle les entrave) et si le partage des annotations, la visibilité accordée au passage d’un lecteur peuvent perturber/altérer la lecture d’un autre. Avec cette ambitieuse ambition : mieux renseigner les concepteurs de logiciels de lecture sur des pratiques méconnues en proposant une synthèse de dizaines de travaux déjà réalisés sur l’annotation; donner aux professeurs des clefs pour apprendre à leurs élèves comment développer des stratégies de lecture efficaces.
Formes et fonctions des annotations
Wolfe et Neuwirth commencent par distinguer quatre fonctions de l’annotation :
- Faciliter la lecture et la rédaction de travaux (écriture des sources, acquisition et structuration de connaissances, contextualisation d’une citation, collection de passages, résumés dans les marges des manuels, etc. ) ;
- Suivre le chemin parcouru par un autre lecteur ;
- Donner des informations utiles aux auteurs ;
- Signaler d’importants passages et thématiques ;
L’écriture des annotations peut par ailleurs prendre des formes très variées, notent Wolfe et Neuwirth, du passage souligné/surligné, au commentaire marginal et autres astérisques. Une grande variété de signes qui occupe une part importante du temps de lecture (jusqu’à 25 % pour l’annotation contre 22 % pour la prise de notes) et qui est souvent peu lisible pour un autre lecteur.
L’annotation dans un groupe de travail
Pour autant, les universitaires parlent très souvent de leurs annotations et de leurs stratégies de lecture avec leurs collègues. Cette socialisation des annotations a une influence sur leur production. Une étude, mentionnée par Wolfe et Neuwirth, a montré que ceux qui mènent un groupe de travail et de lecture ont tendance à produire beaucoup plus d’annotations, probablement parce qu’ils sont chargés de fournir un compte rendu à la fin de la séance et que sa bonne tenue dépend de leur degré de présence, favorisée par l’annotation.
Des études encore à mener
On peut imaginer que des groupes de travail en ligne perceraient facilement. Mais la plupart des annotateurs n’aiment pas produire à partir de l’écran : ils craignent d’abord la disparition de leur production, une fois la mise à jour d’un texte réalisée ; ensuite la navigation est plus aisée sur l’imprimé (les choses ont un peu changé depuis).
Wolfe et Neuwirth plaide ainsi pour une meilleure connaissance des opérations matérielles/intellectuelles des lecteurs (lieux où commencent/s’arrêtent une lecture, nature de l’écriture, documents combinés, allers-retours entre les supports, etc.) et le développement des études qualitatives (lecture des logs, enregistrement des écrans, interviews/questionnaires) qui permettaient l’ajustement des logiciels de lecture (les gestionnaires et les managers ont par exemple tendance à fréquemment repérer des dates dans des documents; pourquoi ne pas proposer, par conséquent, l’ouverture d’un calendrier, synchronisé avec le document, qui permettrait de les extraire et de les ordonner ?)
Avantages et désavantages du partage d’annotations
À l’époque où l’article fut rédigé, les recherches sur la publication des annotations étaient encore inexplorées. Mais des études intéressantes avaient déjà établi quelques résultats. On sait par exemple que la lecture des annotations réalisées par un autre lecteur augmente peut-être le temps de lecture mais améliore aussi la mémorisation des éléments les plus importants, surtout quand ces éléments ont été soulignés par un lecteur reconnu, même si l’investissement personnel reste toujours plus fructueux. Les étudiants recherchent cependant fréquemment des textes de littérature/philosophie annotés, qui facilitent leur lecture en balisant et en défrichant des chemins réputés arides et broussailleux.
Les auteurs eux-mêmes (écrivains mais aussi architectes ou médecins) ont besoin d’un accès à la lecture de leurs pairs – qui passent en partie par les marques laissées dans des textes – pour repérer des changements effectués sur des plans, pour consulter rapidement l’historique d’un patient ou pour anticiper les besoins de lecteurs dont on aurait analysé les remarques marginales. Or, pour l’instant, alors que chaque document a des publics différents et que chacun joue un rôle crucial dans l’élaboration d’une écriture qui mériterait, par conséquent, une négociation entre ces publics, ils sont beaucoup trop mal identifiés et analysés par les auteurs et les éditeurs.
D’autres études, remarquent toujours Wolfe et Neuwirth, mettent l’accent sur les aspects potentiellement négatifs de cette publication, notamment en milieu scolaire. Un cours déjà balisé aura par exemple tendance à démobiliser les étudiants, moins impliqués dans la production d’écrits (prise de notes, etc.) nécessaire à l’appropriation du cours. Leur esprit critique a également tendance à s’affaiblir : les étudiants qui ont reçu ce type de matériau mettent en effet moins d’énergie, dans leur dissertation, à convaincre leur lecteur de la validité d’un argument qui aurait déjà été construit (le texte annoté dont ils se servent pour construire leur copie). À l’inverse, les passages soulignés n’auraient aucun impact sur l’écriture des étudiants mais renseigneraient sur les “points de consensus” d’un texte, c’est-à-dire les lieux de la lecture qui posent le plus de problèmes ou qui sont les plus valorisés. Enfin, certains lecteurs se montrent agacés et gênés par la présence de commentaires marginaux, qui empêchent la poursuite de la lecture.
L’influence des interfaces sur les pratiques d’annotations
Les bienfaits et les méfaits du partage des annotations est cependant tributaire du dispositif graphique et technique qui les rend possible. Des études citées par Wolfe et Neuwirth ont ainsi pu montrer que les difficultés rencontrées dans un texte faisaient l’objet d’un meilleur repérage et d’une meilleure écriture lorsque les étudiants pouvaient les signaler entre les lignes ou dans la marge qu’en bas des pages. Autrement dit : la production de commentaires est plus importante selon la proximité autorisée avec le texte.
Le dispositif de visualisation, d’écriture et de proximité avec le texte influe aussi sur la production de réponses. On a beaucoup plus tendance à réagir à l’écrit d’un autre lecteur si cet écrit est situé marginalement ou entre les lignes. De la même façon, la visualisation des commentaires réalisés a une influence sur l’écriture de nouveaux commentaires. Par exemple, on ne répète pas des questions déjà posées. Ce phénomène a l’avantage de désengorger le texte et de faciliter la lecture des questions par l’examinateur mais il affaiblit la connaissance qu’on pourrait avoir d’un public et des passages les plus problématiques. La présence d’annotations détournent enfin l’examinateur (le professeur, par exemple) de passages que des étudiants ne signalent pas mais qui mériteraient pourtant des éclaircissements.
Notes
1. | ↑ | Wolfe Joanna L., Neuwirth Christine M., “From the Margins to the Center : The Future of Annotation “, Journal of Business and Technical Communication, 15, 2001. |