Souvent renvoyé à un usage présupposé, implicite, évident du dispositif (“pas là pour discuter”). Si d’autres peuvent également déplorer cet état de fait, comme si une règle naturelle pesait sur eux, ils contribuent cependant à la maintenir, en s’en faisant le relais (“suis d’accord mais t’as Tindr ou Meetic pour ça”).
Pour comprendre cet usage exclusif et excluant, on peut d’abord recourir à la notion de discours, telle que la pense un chercheur en communication : un discours est “un dialogue systématiquement contraint”1Krippendorrf Klauss, “Le discours et la matérialité de ses artefacts”. Communication & Langages, 173, p. 17–42, 2012.. Les usagers s’obligent les uns les autres ; ils peuvent librement s’exprimer mais des règles d’appartenance pèsent sur eux, auxquelles ils participent et qu’ils finissent par pérenniser : ce sont des membres d’une communauté de discours, qui partagent des savoir-faire, des compétences, qu’ils co-définissent et défendent, sans y adhérer toujours et pleinement (“On n’est pas des bêtes, on peut quand même parler dans un premier temps t’inquiète”). Dans cette perspective, les règles sont des croyances partielles et des instances de stabilisation d’une communauté de discours donnée, qui se sont progressivement constituées2On trouve en effet des traces archaïques de telles négociations dans les énoncés résignés : “Ouais c’est sûr moi aussi ça me fait chier mais bon c’est comme ça”..
D’où viennent-elles ? Sur le web, les internautes sont souvent renvoyés à une “charte”, lorsqu’ils ne respectent pas les usages en vigueur. Sur Grindr, on n’en trouve pas. C’est que la règle est inscrite dans l’usage même du dispositif : les fonctionnalités, comme la géocalisation (moins précise et centrale sur Tindr et Meetic), construisent un type d’échange qui empêche ou rend difficile toute alternative, à moins de se voir marginaliser par sa communauté de discours. Autrement dit : la charte de Grindr est dans Grindr. Mieux : la charte de Grindr, c’est Grindr.
C’est peut-être pourquoi la plupart finit par adhérer naturellement à un usage qui ne tombe pourtant pas du ciel : un discours auto-organisé (“on est là pour baiser”) l’a naturalisé, rendu naturel. C’est un impensé3Robert Pascal (dir.), L’impensé numérique. Tome 1 : Des années 1980 aux réseaux sociaux, Editions des Archives contemporaines, 2016. : un objet social et culturel mais impossible à questionner, comme l’est une vérité ou une divinité.
Notes
1. | ↑ | Krippendorrf Klauss, “Le discours et la matérialité de ses artefacts”. Communication & Langages, 173, p. 17–42, 2012. |
2. | ↑ | On trouve en effet des traces archaïques de telles négociations dans les énoncés résignés : “Ouais c’est sûr moi aussi ça me fait chier mais bon c’est comme ça”. |
3. | ↑ | Robert Pascal (dir.), L’impensé numérique. Tome 1 : Des années 1980 aux réseaux sociaux, Editions des Archives contemporaines, 2016. |