Sommaire
Belle thèse de Li Yu sur l’histoire de la lecture dans la Chine impériale de 1000 à 18001 YU li, A History of Reading in Late Imperial China, 1000–1800, Thèse de doctorat en philosophie, The Ohio State University, 2003. , téléchargeable gratuitement et librement ici. Je l’ai lue rapidement, juste pour avoir une vision d’ensemble du contexte dans lequel s’inscrit l’annotation en Chine à cette époque.
Pratiques et culture de la lecture
On apprend dans quelles conditions lisaient les chinois (en voyage, dans la solitude d’une chambre, tard le soir, aux toilettes, etc.), quelles étaient leurs conceptions de la lecture , les matériaux sur lesquels ils lisaient (murs des temples, dans les restaurants, livres, etc.), leurs pratiques (traitement des livres, lecture à haute voix, silence, les organes mobilisés et privilégiés durant cette activité, etc.) et même leurs déficiences visuelles.
Apprendre à ponctuer et à découper
On trouve également quelques pages sur la pratique de l’annotation (entendue dans un sens large), inséparable de l’histoire de la ponctuation, du séquençage textuel, des techniques et des instruments d’apprentissage et de mémorisation.
En Chine, la plupart des textes durant cette période circulaient en effet sans ponctuation et sans séparation entre les mots, même si certains — sous la dynastie Song, au 12ème siècle — ont pu bénéficier de telles technologies. Les lecteurs devaient apprendre très tôt à découper les textes (après l’acquisition de quelques caractères et la mémorisation de textes de base), pour faciliter leur lecture. Leur marquage s’étendit aux classiques sous les Yuan (13ème-14ème siècle) puis aux pièces de théâtre et aux fictions sous les Ming (14ème-17ème s).
La ponctuation et le marquage des textes avaient des fonctions complexes. C’était d’abord des instruments pédagogiques : les enseignants et les imprimeurs les utilisaient pour faciliter la lecture. C’était ensuite des moyens de commenter un texte (marques des commentateurs ou des lecteurs pour exprimer leurs opinions). C’était enfin des outils de collation (comparaison des textes, établissement d’une édition critique). Trois fonctions qui pouvaient être assurées par la même personne. C’est pourquoi les termes pour désigner la ponctuation, l’encerclement ou le découpage étaient parfois utilisés de manière interchangeable.
Les étudiants apprenaient à ponctuer et à découper leurs textes grâce à leurs maîtres. Sous les Yuan, les enseignants et leurs assistants enseignaient d’abord la ponctuation et la prononciation avant d’expliquer les textes si bien que lorsqu’un enfant lisait seul, sans ponctuation, il était félicité.
Recommandations graphiques
Dans un ouvrage pédagogique, Cheng Duanli (1271–1345) fournit quelques techniques de marquage (héritées de prédécesseurs néoconfuciens). Selon lui, avant de mémoriser les textes, les étudiants devaient d’abord les ponctuer et noter la phonétique des caractères à partir d’un modèle de codification stricte : un point devant un caractère pour marquer une phrase, un point entre deux caractères pour une pause.
Les styles d’annotation variaient selon les genres à annoter. La prose Han, par exemple, fit l’objet d’une codification très complexe : 4 couleurs (rouge, noir, jaune, bleue), sept styles (point, gros point, trait, cercle, grand cercle, etc.) et trois localisations (entre, avant, au centre) furent combinés pour produire 18 types marques différentes qui couvraient 19 fonctions (relever la structure du texte, souligner des passages, identifier les stratégies rhétoriques, indication de la phonétique, etc.).
Le système de Huang Gan (1152–1221) était moins complexe : 5 types de marques étaient recommandées pour désosser le texte, repérer des exemples (un trait rouge entre deux caractères), des maximes (un trait rouge avant le caractère), indiquer la phonétique (un point rouge), signaler les passages à examiner (un trait noir) ou à compléter (point noir).
Instruments et techniques d’exécution
Ces recommandations graphiques s’accompagnaient de conseils techniques. Cheng Duanli invitait ses lecteurs à réaliser les cercles et les points en utilisant la technique et les instruments de son maître. Une extrémité de la poignée d’une brosse à dents en corne de boeuf noir devait par exemple permettre la réalisation d’un point. À l’inverse, métaux, bambous et cornes de boeuf blanc étaient jugés trop fermes et secs pour l’annotation.
Les instruments variaient non seulement selon les marques à effectuer mais également selon les objectifs visés. La collation et la ponctuation ne mobilisaient pas les mêmes types d’instruments (de la poudre blanche pour masquer une erreur ; un pinceau noir pour la corriger et écrire par-dessus) ni la même préparation (7 jours pouvaient être nécessaires pour préparer la poudre de correction).
Les étudiants ne suivaient pas à la lettre ces recommandations : ils composaient avec elle. On sait que le rouge était une couleur couramment utilisée pour la correction des textes et que les marques (point, cercle, trait) étaient fréquemment utilisées pour commenter les textes.
Conclusion
Les techniques de marquage des textes ont été élevées au rang d’art en Chine parce qu’elles remplissaient des fonctions essentielles en termes de compréhension et de mémorisation des textes lus. Il s’agissait, en suivant patiemment chaque mot, de méditer les Classiques, de les ruminer, des les digérer, d’en refaire le parcours en répétant des gestes millénaires et d’assurer ainsi leur transmission, par un long apprentissage, qui était à la fois cognitif et technique. Les gestes et les styles entretenaient avec les instruments utilisés des relations complexes, qui déterminèrent en grande partie la nature des inscriptions graphiques aujourd’hui observées et, par conséquent, les conditions de mémorisation, de circulation et de transmission des Classiques chinois.
Notes
1. | ↑ | YU li, A History of Reading in Late Imperial China, 1000–1800, Thèse de doctorat en philosophie, The Ohio State University, 2003. |