Enquêter avec nos morts — un rêve de ma grand-mère

 

Depuis sa mort en mars dernier — ou en juin peut-être août si c’é­tait au print­emps per­son­ne ne sait ni sa nais­sance — ma grand-mère est rev­enue plusieurs fois dans mes rêves et mes médi­ta­tions : pour m’ex­pli­quer une recette de cui­sine (“mange longtemps toi !”), pour se maquiller, pour indi­quer com­bi­en elle avait froid. Cette nuit, elle s’est appuyée con­tre un mur pour repren­dre sa res­pi­ra­tion — ils dis­ent qu’on ne sait pas pourquoi si c’é­tait la vieil­lesse ou si c’é­tait le virus si au vil­lage au Liban on fai­sait encore atten­tion et si au télé­phone on a alerté suff­isam­ment.

tau­pes,
touchez son vis­age
rongez le grain
du chapelet
remuez la terre
pleine
comme une main trou­ve
une guêpe
dans une boîte aux let­tres

Les Queer Death Stud­ies, dont je par­le régulière­ment ici, nous invi­tent à affron­ter la nécrop­oli­tique en dévelop­pant des coprésences spec­trales : mobilis­er tout ce par quoi se man­i­fes­tent les morts pour les rap­pel­er aux vivants, pour refuser la résig­na­tion indi­vidu­elle et la résilience élé­giaque, en iden­ti­fi­ant des respon­s­abil­ités, en les partageant, en pointant du doigt les acteurs, les espaces et les matri­ces qui ren­dent pos­si­bles de telles entrées dans la mort, dans l’in­dif­férence générale. Si l’en­quête ethno­graphique a encore un sens pour moi, c’est bien celui-ci : s’in­quiéter des exis­tences frag­iles, s’en­quérir de ce qui se passe, de celleux qui refusent d’être oublié.e.s et deman­dent qu’on leur prête atten­tion, qu’on témoigne de leur pas­sage.