Cette nuit, j’ai rêvé de Twitter : c’est tout ce dont je me souviens. Peu importe : la veille est pleine d’embrayeurs, d’objets et de situations qui me ramèneront au rêve ; il suffit d’attendre sans attente.
Je profite de ce moment pour dérouler non pas la trame de mon rêve mais ce qu’il m’offre : l’occasion d’approcher sans les effrayer les “êtres imaginaux”.
Le monde imaginal a été théorisé par le génial Henry Corbin qui désigne, à la suite du soufisme, un espace situé entre l’intellectuel et le sensible. Pour le dire rapidement, l’imaginal est le domaine des possibles : tout ce que nous imaginons, nous permet d’élaborer des scénarios alternatifs, qui finissent par avoir un effet dans le monde sensible, qui les traverse et qu’ils traversent ; on parlerait sans doute aujourd’hui de “fabulations spéculatives”.
Encore faut-il savoir donner une chance à ce qui nous traverse : faire bon accueil à ce qui se présente, ouvrir un espace hospitalier, comprendre que tout, dans ce monde, compte, autant que nous comptons pour lui.
Dans les rêves, dans la pratique de la conversation de soi (ou “auto-hypnose”), de nombreux êtres se présentent : des animaux (renard, chat, gnou, hiboux, etc.), des visages, des phrases. Nous pouvons, certes, les laisser au rêve, à l’espace qui les a vu naître ; c’est ce que nous faisons habituellement. Mais nous pouvons aussi les accueillir, devenir un refuge pour eux, comme savent le faire les enfants : les dessiner, les écrire, en parler, les convoquer, les réaliser. Les êtres imaginaux sont des frémissements.
Cette nuit, j’ai rêvé de Twitter. Si nous pouvons matérialiser un phénomène, l’accueillir, il peut également se présenter à nous, pratiquer “la traversée des frontières” (J.-P. Vernant) et, de lieu sensible, redevenir possible, retourner à la matière, dans un processus de circulations infinies.
Certaines sciences interprétatives nous ont habitués à voir dans ces transformations le travail d’un symptôme, qui peut prendre des formes et des tours variés. J’accueille ce type de proposition avec respect. Mais que se passe-t-il lorsque nous choisissons de penser moins profondément, en faisant d’une manifestation (un lieu, un visage, une phrase, etc.) rien de plus qu’une figure ; en lui refusant le statut de signes ou de symptômes ? Nous la prenons au sérieux ; nous lui accordons enfin une place ontologique. Dès lors, nous pouvons l’interroger en la faisant passer, à notre tour, d’un espace à l’autre : conversation de soi, dessin, vidéo, poèmes, etc.
Cette nuit, j’ai rêvé de Twitter. Les lieux sont aussi des êtres : ils nous traversent, nous les traversons, nous nous superposons, nous passons les uns dans les autres ; nous sommes des unités d’empiètement, prises dans un devenir commun, nous croissons les uns dans les autres sans jamais nous confondre les uns avec les autres.
Puisse cet être se rappeler à moi, circuler dans mes rêves, dans nos conversations ; puisse-t’il me posséder, croître en moi. Alors, je deviendrai son gîte et son errance.