On sait que la machinerie amoureuse est en partie une affaire de signes (Barthes, Deleuze, Ibn Hazm), à partir de laquelle s’élaborent des trames, des intrigues, des tactiques : répondre, ne pas répondre, attendre un peu, ne pas dévoiler trop vite ses cartes…encore faut-il que les deux parties aient intégré le même jeu de langage ; prêtent à la matière du savoir. Car les dispositifs numériques introduisent des asymétries, de légères variations, liées à l’inscription automatisée de la présence : on doit maintenant faire avec des traces d’activité qui participent à cette machinerie, sont à leur tour interprétées comme des indices d’un intérêt ou d’un désintérêt — la machinerie amoureuse anime tout phénomène d’une intention ; elle en fait un signe, qui permet d’ordonner l’interaction, de lui faire jouer une partition, répétitive et ennuyeuse (stratégies, jalousie, etc.), alignée sur des scripts.
C’est dire que la séduction est, s’élabore avec et dans cet ensemble : des gestes, des hypothèses, des intrigues médiatiques, reconduites socialement (la télé dite réalité sait exploiter ces ressorts dramatiques : “il/elle ne m’a pas répondu sur les réseaux”), des interprétations collectives, certes ; mais aussi des inscriptions documentaires, qui travaillent l’action, offrent des opportunités ou conduisent à des incompréhensions (“mais il fallait que je te réponde ?”) selon leur degré d’investissement. Dans ces conditions, peut-on aimer autre chose qu’une texture, qu’un monde ? Et qu’est-ce qu’un impair, une rupture dans la communication amoureuse, sinon le marqueur de notre inappartenance au monde de l’autre ?