Les marges médiévales ont déjà fait l’objet de nombreuses études qui en ont notamment révélé la richesse picturale et symbolique, sans lien véritable avec le texte (quand il n’est pas qu’un prétexte), à partir de laquelle la page devient fête pour l’oeil ou distanciation ironique avec ce spectacle (comment comprendre autrement les babouins dans les marges des papyrus égyptiens ?). La notion de marge n’est cependant pas qu’un dispositif graphique permettant de gérer des productions périphériques ; elle matérialise également un ensemble de relations (sociales, géographiques, philosophiques, etc.) de plus en plus interrogées. C’est précisément ce rapport entre ces deux espaces — matériel et métaphorique — qu’explore en ce moment l’exposition : “On the Edge : Medieval Margins and the Margins of Academic Life” (jusqu’au 11 septembre à Chicago).
Le parti pris est osé. À partir du livre fondateur de Michael Camille (Image on the Edge : The Margins of Medieval Art, 1992), auquel est rendu un vibrant hommage, l’exposition propose une comparaison entre les décorations marginales des manuscrits médiévaux et la vie grouillante, marginale, du campus universitaire de Chicago. Si les marges matérielles témoignent de riches manipulations chargées de contester la légitimité du texte central en le parodiant et en se jouant de lui, les marges universitaires rendraient compte du même foisonnement, de la même créativité et partagerait une vision commune avec le Moyen Âge. Ainsi d’une fascination semblable pour le bestiaire animal, à la fois exprimée par les marges à drôleries des manuscrits gothiques et l’architecture de l’université avec ses gargouilles, devenues des mascottes pour les étudiants ; la flore, extrêmement présente, aussi bien dans les textes médiévaux, qui rappelle la proximité étymologique de la page et de la vigne, que dans les jardins universitaires, révèleraient une culture (de la terre et de l’intelligence) en parallèle élaboration.
Il faut sans doute y voir un peu d’humour et moins chercher à mesurer les comparaisons entre deux systèmes de pensées très différents, excessivement juxtaposés pour attirer de façon ludique l’attention des étudiants, qu’à suivre la manière dont un héritage est géré, dont la matière (du papier, ici), sur lequel s’inscrit du symbolique, révèle en partie des horizons mentaux et dont ces derniers, transmis, s’inscrivent aujourd’hui, à leur tour, dans d’autres matières, d’autres gestes, d’autres pratiques et d’autres savoirs.