(Fêtes d’hiver, 2020)
Un membre de la famille est partout présent visible nulle part (Flaubert, au sujet de Dieu) : la famille. C’est un être puissant, qui travaille à sa survie, à la redistribution des rôles selon un protocole patiemment défini et indéfectible, qui va à l’encontre des aspirations de chacun de ses membres, nie leurs transformations identitaires, les assigne aux mêmes places. Il arrive certes que des élans s’expriment, que l’on entr’aperçoive, au cours d’une conversation ou lors d’arrivées, la localité périphérique que porte l’un des membres (“ah bon, t’aimes ce genre de film toi ?”), rapidement annexée. Chacun d’eux assiste et participe à son insu à la mise en fonctionnement de la famille. C’est un phénomène de concrescence (Whitehead) ou de double configuration (Giddens) où plusieurs individus (personnes, espaces, etc.) s’unissent, font alliance, croissent ensemble pour former un nouvel être, qui consolide les liens des premiers, les engage autrement, dans une dialectique permanente.
le matin
quand rien ne parle
à l’heure
des choses
avant les imagesmon frère laissait
une odeur d’olive
sur la table
de thym
et de sésame
Comment parler à l’être familial, comment rentrer en diplomatie avec lui ? En reconnaissant sa présence, ses modalités et ses besoins ; quelque chose résiste ; il est fragile. En répondant à sa nature propre, à un processus alchimique qui allie les corps aux espaces, les membres à un tout distribué ; nous utiliserons la magie.
(Par moments, je découpais la famille : j’invitais ma mère à déjeuner, en excluant d’autres membres, pour éviter de la faire fonctionner ; je la privais ainsi de ses ressources vitales, en investissant les corridors, en installant des paravents, des espaces explicitement cachés qui me permettaient d’accéder aux périphéries locales de mes parents, de mes frères et de ma soeur, avant de réinvestir avec douceur, dans le corps familial, ce qui avait circulé dans nos conversations ; j’espérais ainsi participer lentement, à son rythme, à son remembrement).