L’expérience d’une “performance documentaire”

et l’ar­bre est sec­oué par un nid” (G. Schehadé)

Julien Bel­langer, qui tra­vaille à l’Asso­ci­a­tion PING (espace asso­ci­atif — où on vient retrou­ver sa voix — sur les cul­tures numériques à Nantes), m’a pro­posé ven­dre­di de doc­u­menter en binôme un fes­ti­val lit­téraire et artis­tique : Bir­fuca­tions. Très vite, nous avons juste­ment bir­furqué : de la prise de notes col­lab­o­ra­tive à ce qui ressem­ble à une “per­for­mance doc­u­men­taire”.

La lit­téra­ture sur le document1Voir la syn­thèse de Patrick fraysse, “Doc­u­ment” dans  Cécile Gardiès (dir.), Approche de l’in­for­ma­tion-doc­u­men­ta­tion. Con­cepts fon­da­teurs, Cépaduès, 2011. De mon côté, je suis fam­i­li­er avec — ou plutôt : je lis — les travaux de Manuel Zack­lad sur le “doc­u­ment pour l’ac­tion”, ceux de Dorothy Smith sur l’ethno­gra­phie insti­tu­tion­nelle ou ceux des col­lec­tifs qui tra­vail­lent sur la cir­cu­la­tion des doc­u­ments dans les organ­i­sa­tions. est extrême­ment abon­dante dans ma dis­ci­pline (les Sci­ences de l’In­for­ma­tion et de la Com­mu­ni­ca­tion) ; je ne pré­tends pas pou­voir dire ici quelque chose d’o­rig­i­nal mais ren­dre compte de ma petite “sec­ousse” (fît­na, dans la poésie arabe2Jamel Eddine Bencheikh, Failles fer­tiles du poèmes, Tara­buste, 2000.) ou du trou­ble que j’ai vécu avec Julien — c’est l’autre nom de l’expéri­ence3Voir Albert Ogien et Louis Quéré, “Expéri­ence” dans Le Vocab­u­laire de la soci­olo­gie de l’ac­tion, Ellipses, 2005., de nos expéri­ences, même infimes, aux­quelles nous nous devons de prêter de l’at­ten­tion.

Un doc­u­ment est un objet trompeuse­ment fam­i­li­er et sim­ple qui se présente, certes, sous une forme matérielle sociale­ment banal­isée (impôts, quit­tance de loy­er, poly­copiés, etc.). Mais c’est — aus­si — un objet qu’on peut curieuse­ment brandir à la télévi­sion pour démon­tr­er sa bonne foi (admin­is­tra­tion de la preuve), qui nous oblige à nous déplac­er pour le sign­er (agen­tiv­ité, force d’ac­tion), qui assure notre cir­cu­la­tion dans le corps social (cas des don­nées des patients dans les hôpi­taux) ou qui coor­donne à dis­tance les gestes et les actions des acteurs d’une organ­i­sa­tion (réu­nion à telle heure, recom­man­da­tions nor­ma­tives, etc.). Bref, c’est un objet éton­nam­ment com­plexe que nous investis­sons de pou­voir, qui a du pou­voir sur nous, que nous sommes égale­ment capa­bles de recon­naître comme tel compte tenu de notre sit­u­a­tion cul­turelle.

Ven­dre­di soir avec Julien, nous avons fait l’ex­péri­ence de sa com­plex­ité, qui va au-delà d’une coor­di­na­tion édi­to­ri­ale. Le fes­ti­val com­pre­nait dif­férents temps, pro­posés par l’artiste invité (Eric Arlix) :

Nous avons doc­u­men­té ensem­ble les trois pre­miers temps sur CodiMD qui per­met de pren­dre des notes col­lab­o­ra­tive­ment avec la syn­taxe Mark­down.

J’ai d’abord lais­sé Julien ini­ti­er le mou­ve­ment, ne sachant pas bien ce qu’il attendait de moi et dis­posant de peu d’in­for­ma­tions sur sa pro­pre pra­tique (j’ap­pris plus tard qu’il s’agis­sait aus­si de son pre­mier essai). On voit ici com­bi­en la vision par­tielle d’une sit­u­a­tion, à par­tir d’un point de vue situé et de points de vue man­quants ou en cours d’émer­gence (j’at­tendais que les infor­ma­tions me soient pro­gres­sive­ment délivrées), peut être créa­tive. En effet, je pen­sais être guidé dans un jeu que j’imag­i­nais déjà bien rôdé et dont je décou­vris rapi­de­ment qu’il était en cours de créa­tion ; j’ai ain­si fait rapi­de­ment l’ex­péri­ence d’une con­fronta­tion, d’une ten­sion et d’un ajuste­ment avec pro­pre pra­tique et celle de Julien.

Lors de la pre­mière inter­ven­tion (“19h30, l’in­stant Charybde”), où un libraire présen­tait les livres des intervenant.e.s de la soirée, j’ai d’abord observé la manière dont mon binôme pre­nait des notes avant d’in­ter­venir : il accu­mu­lait des mots enten­dus, en les jux­ta­posant, sans souci de faire des phras­es ; com­ment pren­dre des notes, ren­dre compte de l’événe­ment — ce dont j’avais fait l’hy­pothèse — de cette manière ? J’ai cepen­dant suivi son mou­ve­ment, pour lui mon­tr­er implicite­ment — par le geste — que je m’a­jus­tais à son fonc­tion­nement, que je le suiv­ais, que je recon­nais­sais sa pra­tique, quoique dubi­tatif. Nous avons donc accu­mulé de la matière, qui ressem­ble à un flux de con­science :

Rapi­de­ment, Julien a rajouté une balise de la syn­taxe mark­down (:::suc­cess) qui dote d’un cadre visuel les énon­cés (1ère image : le texte avec les balis­es mark­down ; 2ème image : le texte en WYSIWYG) :

De toute évi­dence, il s’agis­sait moins de pren­dre des notes, de doc­u­menter ce qui se dis­ait, que de don­ner à voir, enten­dre, sen­tir, ce qui se pas­sait, bien au-delà de la per­for­mance des inter­venants, en ten­ant compte de l’ensem­ble des séquences du fes­ti­val :

Il n’avait cepen­dant pas un plan préétabli : comme dis­ent les philosophes, l’in­ten­tion est en action4Valérie Aucou­turi­er, L’In­ten­tion en action, Vrin, 2018.; elle est décou­verte dans le mou­ve­ment même de la pra­tique, même s’il peut exis­ter, bien évidem­ment, un plan d’ac­tion, c’est-à-dire une inten­tion plan­i­fiée qui peut précéder toute chaîne d’ac­tions (cas des recettes de cuisine)5Voir la dis­tinc­tion de Louis Quéré dans Mesure, Sylvie, Savi­dan, Patrick (dir.), “Action” dans Le Dic­tio­n­naire des sci­ences humaines, PUF, 2006.. C’est pré­cisé­ment ce qui explique mes pro­pres fluc­tu­a­tions inter­pré­ta­tives, qui suiv­aient le mou­ve­ment d’une inten­tion en cours d’élab­o­ra­tion.

Ayant mieux com­pris ce qui se jouait, j’ai moi-même pro­posé des pos­si­bles, qu’on peut définir comme des “occa­sions de faire sens”6Définition don­née par un com­men­taire et dis­ci­pline de Wittgen­stein. Voir San­dra Laugi­er, Wit­gen­stein. Les sens de l’usage, Vrin, 2009, p. 193–194.. Il y a tou­jours un pari dans la sig­ni­fi­ca­tion, notam­ment lorsque les règles sont mal sta­bil­isées : on jette une balle, en atten­dant que l’autre s’en empare. J’ai donc sug­géré un reg­istre théâ­tral pour que nous nous écar­tions un peu plus de la prise de notes :

Nous avons ain­si, à mesure que l’autre écrivait, pre­nait des notes, doc­u­men­tait l’événe­ment, pro­posé à tour de rôle et pro­gres­sive­ment des caté­gories (“didas­calie”, “vol de mots”, etc.) qui n’ont pas seule­ment per­mis de réor­gan­is­er la matière ver­bale : elles nous ont invités — c’est là leur force — à aller jusqu’au bout de ce que l’autre pressen­tait de cette matière, de la forme vers laque­lle elle devait ten­dre (son cona­tus).

Cer­tains pos­si­bles ont échoué : par exem­ple, Julien rel­e­vait les occur­rences de tel ou tel terme dans la prise de parole des inter­venants ; je n’y ai pas trou­vé un intérêt autre que sta­tis­tique (ci-dessous) ; l’idée a été aban­don­née.

D’autres ont fonc­tion­né. Au cours de la dernière per­for­mance à laque­lle j’ai assisté (“21h10 — soror­i­sa­tion générale”), Julien a ain­si pro­posé un tableau sta­tis­tique, le jetant lit­térale­ment dans notre espace d’écri­t­ure. En écoutant le texte fémin­iste de l’autrice (Chloé Delaume), je l’ai alors rem­pli :

Ce tra­vail, qui pour­ra paraître légitime­ment banal, est en fait com­plexe : il con­siste à ajuster les matières et les formes7Tim Ingold, Faire, Édi­tions Dehors, 2017., comme le fait l’ar­ti­san, en faisant dia­loguer les pro­priétés des unes et des autres. Il con­siste, plus fon­da­men­tale­ment, à décou­vrir les fonc­tions pos­si­bles d’une forme, sans doute infinies, à par­tir des buts pro­gres­sive­ment fixés et décou­verts dans l’ac­tion. Ces opéra­tions relèvent du rythme, au sens de Leroi-gourhan, soit la capac­ité à ren­tr­er en cor­re­spon­dance en trou­vant sa place dans un flux de matières, de flux, de pra­tiques et d’in­ter­ac­tions.

Je suis par­ti peu avant la dernière per­for­mance (“21H50 — Ford­lan­dia”) ; Julien a con­tin­ué seul. Il l’a décom­posée en trois par­ties, pro­posant d’autres formes édi­to­ri­ales et graphiques pour doc­u­menter ce qu’il avait vu et enten­du :

Cette séquence est pré­cieuse : je ne la com­prends pas. Certes, il y a un effort pour pro­longer la com­préhen­sion du moment au-delà de ceux qui l’ont vécu, en le ren­dant lis­i­ble ; pour autant, il néces­site d’y avoir assisté. Il ne vaut que dans le temps de son exé­cu­tion, qui con­stru­it le cadre de la sig­ni­fi­ca­tion. C’est sans doute la rai­son pour laque­lle, Julien et moi, nous avons été si trou­blés : nous avons fait l’ex­péri­ence d’une ten­sion entre l’événe­ment — l’im­pos­si­bil­ité de répéter ce qui a été vécu — et son déploiement dans un doc­u­ment, c’est-à-dire par une forme anti-événe­men­tielle8“Le doc­u­ment est un anti-événe­ment. Un événe­ment est imprévis­i­ble, il se pro­duit dans un temps et un espace défi­ni. Il n’est pas repro­duit ni repro­ductible ni trans­mis­si­ble. Il se con­juge au présent immé­di­at. Au con­traire, un doc­u­ment a été pro­duit, existe, donc est défi­ni, entière­ment con­naiss­able et prévis­i­ble. Il peut être repro­duit. Il s’op­pose donc à la notion d’événe­ment.” Voir Patrick fraysse, “Doc­u­ment” dans  Cécile Gardiès (dir.), Approche de l’in­for­ma­tion-doc­u­men­ta­tion. Con­cepts fon­da­teurs, Cépaduès, 2011, p. 43..

La notion de “per­for­mance doc­u­men­taire” veut ren­dre compte de ce para­doxe : l’événe­ment — ce qui ne se répète pas — est con­sti­tué par le doc­u­ment, ce qui répète, sans que le doc­u­ment lu, acces­si­ble après l’événe­ment, ne soit lis­i­ble ; c’est un geste performatif9Sur la ques­tion de la per­for­mance voir André Hel­bo, “Poly­sémie de la per­for­mance” dans André Hel­bo (dir.), Per­for­mance et savoirs, De Boeck, 2011.. Ain­si, l’événe­ment, c’est le doc­u­ment. Ce dernier n’est plus assu­jet­ti à la per­for­mance : il n’est plus sim­ple­ment un instru­ment per­me­t­tant à la per­for­mance, art index­i­cal (lié à un ici et un main­tenant), d’ex­is­ter au-delà de ses lim­ites tem­porelles et spatiales10“Si le prob­lème de la déf­i­ni­tion divise, que faut-il penser des con­tro­ver­s­es sus­citées par les prob­lèmes de con­ser­va­tion et d’exposition d’un acte néces­saire­ment lié au défile­ment du temps et donc, par nature, voué à l’effacement et à la dis­pari­tion dans la dis­si­pa­tion de l’instant ? La per­for­mance, très proche en cela des arts du spec­ta­cle, ne peut demeur­er en mémoire que par le truche­ment de pra­tiques d’enregistrements sonores et visuels. La pho­togra­phie et la vidéo sont donc étroite­ment asso­ciées à la per­for­mance dont elles ten­tent de con­serv­er l’esprit, les con­di­tions spec­tac­u­laires et cer­taines ver­tus d’instantanéité. Mais ces « traces » peu­vent-elles êtres con­sid­érés comme des œuvres ? Ne s’agit-il pas plutôt de doc­u­ments ou d’archives ? Quelle est leur part de justesse et de vérité ? Sont-elles reflet ou trahi­son ? Par ailleurs, qu’en est-il de leur dis­per­sion éventuelle dans les arcanes du marché de l’art ? Trans­for­mée en den­rée artis­tique et intro­duite bon gré mal gré dans les cir­cuits de la marchan­di­s­a­tion, la per­for­mance (ou son dou­ble virtuel) ne perd-elle pas son iden­tité et sa force orig­inelle ?”” Voir Julie Baw­in et Pierre-Jean Foulon, « La per­for­mance : un lieu d’échanges et de con­tro­ver­s­es », Ligeia, N° 117–120(2), 2012, p. 87‑88..

On peut rapi­de­ment décrire les car­ac­téris­tiques de cette per­for­mance doc­u­men­taire :

tout d’abord, le cadre primaire11Je reprends le vocab­u­laire de Goff­man, Les Cadres de l’ex­péri­ence, Édi­tions de Minu­it, 1991., sta­ble (le fait d’aller à un fes­ti­val d’art et de lit­téra­ture : activ­ité com­mune) est modal­isé ou mod­i­fié par un cadre sec­ondaire (le fait de pren­dre des notes dans ce cadre : activ­ité inhab­ituelle) qui finit par devenir lui-même un cadre pri­maire (au bout d’un moment, cette activ­ité inhab­ituelle se rou­tinise et se sta­bilise à son tour grâce aux formes graphiques  et édi­to­ri­ales répétées : “vol de mots”, “didas­calie”, “occurences”, etc.) si bien que le doc­u­ment devient l’événe­ment (doc­u­men­té) ;

ensuite, la per­for­mance doc­u­men­taire — comme toute bonne déf­i­ni­tion du signe — ne ren­voie pas véri­ta­ble­ment à une chose : au lieu de présen­ter un événe­ment, elle le re-présente (Louis Marin), le présente sous une forme inédite, nou­velle, voire même con­cur­rente ; les signes et les formes ont une force agen­tive qui font advenir autre chose. C’est pourquoi elle est un événe­ment à part entière : je deviens le spec­tac­teur de mon pro­pre spec­ta­cle dont je mesure les effets immé­di­ats (con­sti­tu­tion de l’événe­ment), qui s’assem­ble sous mes yeux grâce au rythme trou­vé entre nous dans l’a­juste­ment des formes, des flux et des actions.

Enfin — et c’est un point non nég­lige­able -, la “per­for­mance doc­u­men­taire” per­met d’ac­céder à un plaisir par­ti­c­uli­er (le muse­ment) au cours duquel la pen­sée se saisit d’elle-même, devient son pro­pre objet de con­tem­pla­tion, à mesure que nous sor­tons du monde, dans une sorte de halte ou d’ex­tase, dans le mou­ve­ment même où elle nous y fait entr­er, au moment où nous devenons comme-un.

Notes   [ + ]

1. Voir la syn­thèse de Patrick fraysse, “Doc­u­ment” dans  Cécile Gardiès (dir.), Approche de l’in­for­ma­tion-doc­u­men­ta­tion. Con­cepts fon­da­teurs, Cépaduès, 2011. De mon côté, je suis fam­i­li­er avec — ou plutôt : je lis — les travaux de Manuel Zack­lad sur le “doc­u­ment pour l’ac­tion”, ceux de Dorothy Smith sur l’ethno­gra­phie insti­tu­tion­nelle ou ceux des col­lec­tifs qui tra­vail­lent sur la cir­cu­la­tion des doc­u­ments dans les organ­i­sa­tions.
2. Jamel Eddine Bencheikh, Failles fer­tiles du poèmes, Tara­buste, 2000.
3. Voir Albert Ogien et Louis Quéré, “Expéri­ence” dans Le Vocab­u­laire de la soci­olo­gie de l’ac­tion, Ellipses, 2005.
4. Valérie Aucou­turi­er, L’In­ten­tion en action, Vrin, 2018.
5. Voir la dis­tinc­tion de Louis Quéré dans Mesure, Sylvie, Savi­dan, Patrick (dir.), “Action” dans Le Dic­tio­n­naire des sci­ences humaines, PUF, 2006.
6. Définition don­née par un com­men­taire et dis­ci­pline de Wittgen­stein. Voir San­dra Laugi­er, Wit­gen­stein. Les sens de l’usage, Vrin, 2009, p. 193–194.
7. Tim Ingold, Faire, Édi­tions Dehors, 2017.
8. “Le doc­u­ment est un anti-événe­ment. Un événe­ment est imprévis­i­ble, il se pro­duit dans un temps et un espace défi­ni. Il n’est pas repro­duit ni repro­ductible ni trans­mis­si­ble. Il se con­juge au présent immé­di­at. Au con­traire, un doc­u­ment a été pro­duit, existe, donc est défi­ni, entière­ment con­naiss­able et prévis­i­ble. Il peut être repro­duit. Il s’op­pose donc à la notion d’événe­ment.” Voir Patrick fraysse, “Doc­u­ment” dans  Cécile Gardiès (dir.), Approche de l’in­for­ma­tion-doc­u­men­ta­tion. Con­cepts fon­da­teurs, Cépaduès, 2011, p. 43.
9. Sur la ques­tion de la per­for­mance voir André Hel­bo, “Poly­sémie de la per­for­mance” dans André Hel­bo (dir.), Per­for­mance et savoirs, De Boeck, 2011.
10. “Si le prob­lème de la déf­i­ni­tion divise, que faut-il penser des con­tro­ver­s­es sus­citées par les prob­lèmes de con­ser­va­tion et d’exposition d’un acte néces­saire­ment lié au défile­ment du temps et donc, par nature, voué à l’effacement et à la dis­pari­tion dans la dis­si­pa­tion de l’instant ? La per­for­mance, très proche en cela des arts du spec­ta­cle, ne peut demeur­er en mémoire que par le truche­ment de pra­tiques d’enregistrements sonores et visuels. La pho­togra­phie et la vidéo sont donc étroite­ment asso­ciées à la per­for­mance dont elles ten­tent de con­serv­er l’esprit, les con­di­tions spec­tac­u­laires et cer­taines ver­tus d’instantanéité. Mais ces « traces » peu­vent-elles êtres con­sid­érés comme des œuvres ? Ne s’agit-il pas plutôt de doc­u­ments ou d’archives ? Quelle est leur part de justesse et de vérité ? Sont-elles reflet ou trahi­son ? Par ailleurs, qu’en est-il de leur dis­per­sion éventuelle dans les arcanes du marché de l’art ? Trans­for­mée en den­rée artis­tique et intro­duite bon gré mal gré dans les cir­cuits de la marchan­di­s­a­tion, la per­for­mance (ou son dou­ble virtuel) ne perd-elle pas son iden­tité et sa force orig­inelle ?”” Voir Julie Baw­in et Pierre-Jean Foulon, « La per­for­mance : un lieu d’échanges et de con­tro­ver­s­es », Ligeia, N° 117–120(2), 2012, p. 87‑88.
11. Je reprends le vocab­u­laire de Goff­man, Les Cadres de l’ex­péri­ence, Édi­tions de Minu­it, 1991.