Demain débute la Nantes Digital Week, une dizaine de jours entièrement dédiée aux cultures numériques. J’y participe deux fois : le 18 septembre avec mes étudiant.e.s en licence pro “métiers du livre” de l’IUT de La Roche-sur-Yon (atelier interdisciplinaire avec des ingénieurs/designers pour travailler sur un lieu culturel, le Chronographe) ; le 13 septembre de 14h30 à 16h pour une table ronde sur les données, les lieux, les communs dans le cadre de l’événement NEC (“Numérique en communs”, 13–14 septembre) organisé par l’excellente association PING.
La table ronde porte sur un ensemble de points relativement larges mais grosso modo reliés par une même question : comment sont fabriqués les dispositifs numériques auxquels nous recourrons chaque jour pour écrire un mail, partager un statut, réserver un billet, clôturer un compte, faire une démarche administrative, jouer à un jeu dans une exposition et pourquoi le travail qui les sous-tend, extrêmement complexe, n’est-il pas davantage visible ? Un ensemble de questions découle assez naturellement de cette problématique : comment sont entretenus les dispositifs scripturaux (formulaires, cases de saisie, etc.), qui travaillent nos traces d’activité, de leur inscription à leur exploitation ? Par qui ? Quels intérêts économiques, administratifs, logistiques, sociales servent-ils ? Quels stéréotypes sociétaux actualisent les dispositifs informatiques ou se nichent à l’intérieur d’eux ? Faut-il nécessairement ouvrir les “données” d’une administration publique ? Bref, qu’ont à nous dire les coulisses/la scène des dispositifs numériques et comment imaginer des lieux alternatifs (FabLab, Hackerspace, etc.), qui ne soient pas systématiquement captés par des logiques capitalistes, virtuoses de la mutation et de l’adaptation aux environnements marginaux et critiques ?
On ne “disruptera” pas cette fois-ci : on ne se demandera pas comment remixer tel lieu, comment tout renverser dans les musées et les bibliothèques, comme on a l’habitude de le faire à Nantes (je plaide coupable !) ; on se posera des questions parfaitement inutiles (qu’est-ce qu’un formulaire administratif ? Est-ce qu’on travaille sur Facebook ?), ordinaires, donc essentielles. Elles permettront, je l’espère, de déplier tout un paysage de pratiques, de savoir-faire, de compétences, de croyances, de représentations, de valeurs au coeur des dispositifs qui cadrent (plus ou moins ; notre approche n’est pas déterministe) nos actions, les coordonnent, les informent et y recourent selon diverses modalités, qu’elles soient économiques, administratives ou politiques. S’intéresser à la fabrique des dispositifs revient ainsi à braquer l’objectif sur des logiques de pouvoir qui sont le plus souvent invisibilisées, partout présentes mais visibles nulle part comme le dirait Flaubert à propos de Dieu. Elles sont pourtant fondamentales : elles assurent la pérennisation d’un certain ordre social à partir de techniques du savoir (documentation, classification, interprétation, etc.).
Nous tenterons de travailler ces questions non exhaustives et non directives avec Marion Coville (sociologue, ATER à l’Université de Nantes en communication), Jérôme Denis (professeur de sociologie aux Mines), Lionel Maurel (conversateur à l’Université Paris Lumières, juriste et auteur de Silex) et Raphaël Suire (professeur en économie à l’IAE de Nantes).