Moi, je suis un lapin !’

Les enfants sont des passe-murailles : ils tra­versent les ordres du réel, passent d’hu­mains à ani­maux, devi­en­nent des lap­ins, des chats, mobilisent toutes les ressources à leurs dis­po­si­tions (bois, boîtes, etc.) pour nar­rer, don­ner du sens à leur espace, assem­bler des frag­ments épars. Au con­tact du monde imag­i­nal, cette réserve con­tin­ue de pos­si­bles, ils nous offrent des solu­tions alter­na­tives dans leurs dessins et leurs jeux, en sim­u­lant d’autres scé­nar­ios, en faisant un pont d’un obsta­cle ; ils répar­ent, suturent dis­crète­ment l’e­space famil­ial.

De manière para­doxale, nous avons cepen­dant don­né à cette parole une exis­tence inédite : si elle peut jail­lir con­tin­uelle­ment (à table, en voiture, etc.), énon­cer des vérités, c’est parce qu’elle est inaudi­ble, assignée à un statut qui per­met sa man­i­fes­ta­tion et sa dis­qual­i­fi­ca­tion.

Nous avons ain­si mis ces êtres à une place qui nous per­met de faire l’é­conomie de notre part imag­i­nale, quand nous faisons pour­tant l’ex­péri­ence d’autres régimes d’at­ten­tion, de per­cep­tion et d’ac­tiv­ité, soit que nous croyions être dans notre cham­bre famil­ière à l’hô­tel au réveil, soit que nous pre­nions un lapin pour un enfant.