Dans son étude consacrée à Ibn Arabî (1165–1240), Henry Corbin (1903–1978) évoque une phrase célèbre de la tradition soufie :
J’étais un trésor caché, j’ai aimé à être connu. C’est pourquoi j’ai produit les créatures afin de me connaître en elles.
On pourrait sans doute en dire autant du langage.
Poètes, écrivains, prétentent le travailler ; le fou, lui, serait travaillé.
Cette distinction entre clinique (être travaillé par le langage, à tel point de n’en connaître que les manifestations physiques, symptomatiques) et critique (pointer les limites du langage, comme celles de la connaissance ; les pousser jusqu’à leur terme), ne tient qu’à deux conditions :
- croire en l’existence naturelle des “fous”, sans le système hospitalier et les acteurs qui font tourner quotidiennement cette catégorie. Dès lors, statuer à partir d’elle, comme si elle permettrait d’identifier des critères de littérarité, paraît hasardeux.
- adopter une position réflexive sur le langage, pour ne pas dire extérieure, comme si nous n’étions pas encore en train de penser à partir des catégories (extérieur/intérieur, transitif/intransitif, etc.) qu’il autorise.
Trop paresseux pour travailler et trop orgueilleux pour me laisser travailler, je préfère penser qu’il me traverse. Nous n’avons donc rien d’autre à faire qu’à créer les conditions de sa manifestation. Et ainsi, en l’aidant à se connaître, nous saurons ce qui le traverse. Une telle ambition relève de l’hypnographie.