J’appelle ça des amitiés à usage unique”

(Québec>Montréal, décem­bre 2013)

Il aurait sans doute pu être un excel­lent ami (bien­veil­lant, curieux et à l’é­coute), mais nous avons rapi­de­ment com­pris tous les deux que nous ne nous rever­rions pas, bien que nous nous soyons recon­nus.

Les ami­tiés à “usage unique” (comme il les qual­i­fia alors) ont quelque chose de néces­saire et d’essen­tiel : dans l’e­space clos d’un avion, et alors qu’au­cun échap­pa­toire n’est pos­si­ble (à part peut-être les regards jetés de temps à autre vers un hublot sans vision, pour tarir par à‑coups le flot de con­ver­sa­tions ou faire une pause quelques instants), elles se déploient totale­ment, sans la gêne de retrou­vailles qui nous font taire des con­fi­dences embar­ras­santes dans l’an­tic­i­pa­tion de leur cir­cu­la­tion comme si, pen­dant une heure (de Québec à Mon­tréal), il n’y avait eu plus que nous et quelques bruits alen­tour pour nous rap­pel­er le monde et les autres.

Dans le même temps, nous prévoyons un départ inscrit dès le début de la ren­con­tre, en nous garan­tis­sant les moyens de nous quit­ter sans heurt, en con­vo­quant des for­mules que l’on pen­sait seule­ment pour les autres (“Bonne con­tin­u­a­tion alors”, “À une autre fois peut-être on sait jamais”), pour tous ceux qui n’au­raient pas vécu un tel événe­ment, dont nous pen­sions être pré­mu­nis et qui, petit à petit, comme la jambe retrou­ve ses forces après l’anky­lose du rêve, nous réin­scrivent dans un réel dont nous avions cru pou­voir nous absen­ter un moment.