(À mon neveu Ilan)
Parfois, sans prévenir, dans l’agitation des repas et des conversations, un peu absent ou rêveur, sa main se lève comme celle du chef d’orchestre : il écrit. Cette mémoire corporelle et graphique semble l’articuler, le coordonner, comme si les signes, incorporés, le travaillaient continuellement.
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Le monde s’offre à son jugement et à son action : livres, étiquettes, paquets de céréales, boîtes de médicaments, enseignes commerciales, il reconnaît des lettres plus ou moins familières, plus ou moins inconnues, qu’il récite, soumet à notre appréciation, répertorie intuitivement sous une même classe, malgré la variété de leurs formes.
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Les mots disparaîtront bientôt : il sera plus traversé par eux qu’il ne pourra encore les manipuler comme des cerceaux ou des animaux, les mobilisant dans des stratégies communicationnelles, relationnelles ; ils seront devenus des “outils”. À moins qu’il ne tienne à cette tension, qu’il la maintienne précieusement, comme on prend soin d’un secret ou d’un faon.