(Tanzanie, été 2012)
C’était bien en mouvement, lorsque notre 4x4 rencontrait le leur, soit pour le dépasser soit pour être devancé, que nous apercevions (ou imaginions en les reconstituant), dans l’entrebâillement d’une fenêtre offerte, les habitudes prises, les aménagements et les positions que nous pensions être les seuls à adopter dans ces conditions.
Mais voici qu’eux aussi trouvaient à dormir devant des animaux, eux aussi relâchaient l’attention, s’autorisaient à manquer à l’appel des paysages et à la chance d’en être pour s’abandonner, en les revendiquant (“Quand on en a vu un, on les a tous vus !”), à la lassitude et à la paresse qui les feraient bientôt regretter “de n’avoir pas assez profité”.
Pourtant, malgré ces signes de reconnaissance, qui nous rappellent notre appartenance à la même culture (avec ses codes vestimentaires et ses techniques corporelles), nous avons toujours refusé de nous reconnaître (l’intrus c’est toujours l’autre, même quand il vous ressemble : “Y’a vraiment trop de français ici”), tolérant tout juste un face-à-face soigneusement évité dans les escaliers ou au détour d’un sentier (“Sorry”, “Pardon”), comme si nous refusions, gênés, de voir le caractère touristique du safari, ses circuits balisés et son organisation, pour nous étonner intérieurement que ces séjours aient pu commencer et se poursuivre sans nous, comme on l’apprend parfois d’un guide indélicat (“Mes futurs clients arrivent dans deux semaines”).
Nous nous entêtons à croire que nous participons à une “expérience” unique, originale, seulement faite pour nous, avant de constater, parfois amusés (“On a vraiment tous les mêmes idées !”), le plus souvent vexés (“Quand même, ils arrivent à nous vendre ce qu’ils veulent…”), notamment lors des rassemblements (l’attroupement des 4x4 autour d’un lion), qu’une mécanique nous a anticipés et qu’elle réveille maintenant en nous une sorte de défiance contre la marchandisation des voyages, une défiance orgueilleuse et sans force parce que nous n’avons finalement fait que nous rattraper (“On prend le tout organisé : pas envie de m’emmerder sur place”), comme un coureur finit par voir l’ombre qui ne l’a jamais quittée, bercés par l’illusion que nous aurions à la fois pu être pris en charge et mener la grande aventure.